06/10/2023. Workshop "Travailleurs du texte : écrire depuis la marge"


Université Paris 8 – Vincennes Saint Denis

Maison de la Recherche

Salle A-204

Participants : Raphaëlle Brin, Zoé Carle, Adrien Chassain, Hélène Martinelli, Giedre Šabasevičiute, Adéla Provazníková, Baptiste Fauché, Denis Saint-Amand, Jérôme Meizoz

Amateurs ! Aux marges des institutions littéraires, poètes du dimanche, écrivaillons auto-édités, membres de clubs littéraires, book-tubeurs, auteur·rices de blogs, critiques auto-proclamés, éditeur·rices artisanaux, sont souvent disqualifiés par cette désignation péjorative, mettant l’accent sur leur marginalité au sein du « champ littéraire » liée à une faible reconnaissance. Pourtant, à l’image des écrivains installés et reconnus, ces praticiens de la littérature s’impliquent souvent corps et âme dans une activité créatrice qui s’inscrit entre foi et travail, dans deux registres concurrents, celui de la vocation et celui de l’activité artisanale (Heinich, 2008). Les auteurs·rices n’hésitent ainsi pas à évaluer leur activité en termes de travail, de coût, soulignant un investissement matériel important, souvent décorrélé d’une reconnaissance effective par le milieu littéraire. La pratique du métier d’écrivain se caractérise en effet par une « économie inversée » (Bourdieu, 1992), dans un « univers faiblement rémunérateur et très peu professionnalisé, mais néanmoins chronophage » (Lahire, 2006), où l’accent est tantôt mis sur la foi qui anime ses créateurs, tantôt sur la souffrance du travail de création. L’accès à la gloire littéraire restant rare et exceptionnel, un très grand nombre d’auteurs et autrices continuent néanmoins de pratiquer l’écriture littéraire comme une activité vocationnelle marquée par une très grande incertitude (Menger, 2009).

De nombreux travaux de sociologie de la littérature ont pris pour objet les pratiques littéraires ces dernières années, suscitant des débats nourris sur la « profession » d’écrivain (Sapiro et Rabot, 2017) et la meilleure façon d’appréhender cette activité entre objectivation des conditions matérielles et représentation de soi des acteur·rices. Si certains travaux de sociologues ont pris pour objet les « amateurs » pratiquant la littérature comme un loisir sans avenir professionnel (Poliak, 2006), cette journée d’étude souhaite se pencher sur les auteur·rices, critiques, éditeur·rices ayant reçu le feu sacré sans la consécration, celles et ceux qui frappent à la porte de l’institution littéraire et qui prennent au sérieux cette activité, loin de la considérer nécessairement comme un « loisir cultivé », « un jeu qui ne rapporte rien » (Lahire, 2006). À partir de cas d’études éloignés dans le temps et dans l’espace, nous souhaitons nous pencher sur ces professionnels de la marge pour comprendre la façon dont ils s’insèrent dans les mondes littéraires, dégagent le temps de leur activité créatrice en composant avec leurs autres activités rémunératrices, comment ils parlent d’eux-mêmes et de leurs pratiques, et enfin quelles répercussions en découlent sur les discours et les textes eux-mêmes.

Cette journée d’étude vise à rassembler plusieurs chercheurs travaillant dans une perspective croisant sociologie de la littérature et études littéraires, prenant en considération à la fois les conditions de production des textes littéraires et les formes qui en découlent (genres, styles, topiques…). Il s’agira en particulier de confronter outils et méthodes pour appréhender ces travailleurs et travailleuses du texte et leur rapport aux institutions littéraires. L’élargissement à des terrains plus ou moins éloignés des pôles de légitimation mondiaux nécessite de réévaluer un appareillage théorique et critique pensé pour le champ littéraire français, il s’agira d’essayer de trouver un langage commun à partir de présentations courtes de cas empiriques. Plusieurs axes de réflexion guideront cette première journée exploratoire.

9h00-9h30 Tour de table et présentation

9h30-11h Être écrivain : vocation ou métier ?

Que devient la notion d’écrivain quand on l’interroge depuis les marges de la littérature ? À partir de cas limites liés à nos terrains et objets d’étude, il s’agit d’interroger la pratique de la littérature à la croisée des trois questions du travail, de la vocation et de la reconnaissance. Entre souffrance au travail et malédiction du don, quel sens est donné aux difficultés rencontrées dans l’exercice du métier par les auteur·rices en quête de reconnaissance ? Quelles désignations de soi et de sa pratique sont privilégiées ? Quel rapport aux institutions entretiennent les auteurs·rices marginalisés et quels discours tiennent-ils sur ces dernières ? Si les amateur·rices que nous envisageons considèrent leur activité comme une vocation et non comme un loisir sans avenir, quelles voies de professionnalisation s’offrent à eux ? Et où trouver les signes de cette « profession » : entre compétences techniques acquises, identités sociales principales, reconnaissance institutionnelle, moyens matériels de subsistance – est-ce leur principale activité rémunératrice ?

11h15-12h45 Entrées en littérature, le livre comme seuil ?

À partir de cette proposition théorique et méthodologique – réconcilier une approche par la reconnaissance et une approche par le travail créateur – discussion sur un cas d’étude possible : la question du livre et du geste éditorial. En effet, l’exemple français tend à faire de l’éditeur·rice le premier gate-keeper des mondes littéraires, or il existe une variabilité forte selon les contextes nationaux. La consécration sociale et intime de l’écrivain passe-t-elle par la publication ? Dans quelle mesure le fait de voir son livre publié constitue un accomplissement et une validation pour les auteurs ? À l’inverse, que faire de ces littératures qui échappent aux circuits institutionnels (Dubois, 2005) ?

Pause déjeuner

14h15-15h30 Réflexion sur les sources et les méthodes

Il s’agira ici de favoriser la discussion entre chercheurs et chercheuses qui n’ont pas les mêmes approches méthodologiques et des sources différentes : entretiens, approches matérielles du livre, œuvres littéraires, ethnographie des milieux littéraires, textes… Par ailleurs, il existe un débat vif entre plusieurs écoles sociologiques françaises qui engagent des rapports différents aux textes. À titre d’exemple, on peut penser à la perspective de sociologie compréhensive développée par Heinich à la suite de Weber où la question de la représentation de soi peut permettre la prise en considération des discours et métadiscours ; ou bien à la théorie de la création littéraire développée par Lahire à partir du cas de Kafka, où les textes sont entendus comme « condensations littéraires d’expériences sociales vécues par l’écrivain » (Lahire, 2016). En résumé, que fait-on des textes dans une approche sociologique de la littérature ?

15h45-17h00 Bilan des discussions et perspectives futures pour un groupe de recherche

Retour sur les échanges de la journée, identification des pistes à creuser, des points de jonction ou de friction entre les différents participants. Quelles thématiques ou quels axes pourraient être travaillées par le groupe (entrées en littérature, ambitions littéraires, etc.) ?

Ébauche d’un premier rendez-vous pour une journée d’études à Lyon.

Bibliographie indicative

Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992.

Jacques Dubois, L’Institution de la littérature, Bruxelles, « Espace Nord », [1978] 2005.

Nathalie Heinich, Être écrivain. Création et identité, Paris, La Découverte, coll. « L’Armillaire », 2000.

- « Régime vocationnel et pluriactivité chez les écrivains : une perspective compréhensive et ses incompréhensions », Socio-logos [Online], 3 | 2008.

Bernard Lahire, La Condition littéraire. La double vie des écrivains, Paris, La Découverte, 2006.

Jérôme Meizoz, Faire l’auteur en régime néo-libéral. Rudiments de marketing littéraire, Genève, Slatkine, 2020.

Pierre-Michel Menger, Le Travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Paris, Le Seuil, 2009.

Claude Poliak, Aux frontières du champ littéraire. Sociologie des écrivains amateurs, Paris, Economica, coll. « Études sociologiques », 2006.

Cécile Rabot et Gisèle Sapiro (dir.), Profession : Écrivains !, Paris, CNRS Éditions, 2017.